[Chouans et Réfractaires dans le Morbihan
sous la Monarchie de Juillet (1830-1848)
De 1793 à la chute de l’Empire en 1815, la guerre civile qui endeuilla les départements de l’Ouest est bien connue. Les historiens parlent souvent d’un véritable génocide en Vendée, mais la situation ne fut guère plus enviable parfois en Bretagne, en Anjou ou dans le Maine. La Chouannerie, réaction à la politique antireligieuse, centralisatrice et à la dérive totalitaire des premiers républicains, a été fort bien étudiée pour qu’on ne connaisse pas aujourd’hui ses multiples aspects et ses grands évènements.
Mais on connaît moins la sourde agitation qui régna de nouveau sous la Monarchie de Juillet dans l’Ouest de la France. Pourtant 1830 n’est pas 1793. Plus de procès expéditifs et de coupeurs de têtes et, si en 1794, on trouve l’histoire d’un quidam qui fut guillotiné pour avoir crié : « Vive le Roi » à la sortie de la messe à la cathédrale de Vannes, en 1830, un autre individu aurait été d’abord écroué, jugé devant la cour d’assises et vraisemblablement… acquitté, car les jurés populaires vont avoir beaucoup de tendresse pour ces derniers chouans qui clament leur sympathie pour le monarque déchu et son petit fils. L’Etat de Droit pointe le bout de son nez…
En juillet 1830, la révolution bourgeoise qui chasse Charles X, pour le remplacer par Louis-Philippe (fils de Philippe Egalité qui vota la mort de Louis XVI) va amener une agitation dans le pays pendant dix huit ans, car le nouveau régime ne sera jamais bien tranquille ; sur sa gauche, avec les républicains (qui en 1848 arriveront à leurs fins en prenant le pouvoir) et sur sa droite avec les partisans de Madame la duchesse de Berry, belle-fille de Charles X, qui souhaite installer sur le trône de France, son fils, le jeune comte de Chambord…
Les historiens ont assez peu étudié l’Histoire des multiples incidents à l’ordre public dans l’Ouest du pays et en Vendée, relatant surtout l’odyssée de la duchesse de Berry, personnage pugnace et courageux, qui se termine rapidement en novembre 1832 par son arrestation, et par sa libération quelques mois plus tard.
Dans le Morbihan, une agitation bien réelle va régner principalement en 1831 et 1832, mais se poursuivra jusqu’à la fin de la Seconde République en 1852. Arrestations, perquisitions et retour des visites domiciliaires, quadrillage militaire, pour un résultat en vingt ans de 10 morts du côté des forces de l’ordre, 14 morts du côté des chouans et des réfractaires, plus de cinq cent personnes arrêtées et présentées devant la cour d’assises ou les tribunaux correctionnels.
Ce qui est présenté dans les lignes qui suivent, constitue un résumé de deux récits historiques écrits par Jean GUILLOT, à partir principalement des archives des départements et des communes et qui avaient été négligées, jusqu’à ce jour par les historiens : « Les derniers Chouans du Morbihan 1830-1850 » (parution décembre 2008) et « L’étrange Affaire de Pont Sal » (parution mai 2009) ; le premier ouvrage est une histoire anecdotique de la période et le second la relation minutieuse d’une enquête judiciaire qui garde aujourd’hui encore un caractère bien mystérieux. (Editions Keltia Graphic, Kergwenn 29 540 Spézet : www.keltiagraphic.com )
Introduction
En ce mois de juillet 1830, la crise qui secoue la vie politique à Paris est bien loin du Morbihan. Les agriculteurs qui constituent l’essentiel de la population du département sont occupés à rentrer les derniers foins. Depuis le retour de Louis XVIII, ils ont retrouvé la paix, mais surtout Dieu et leur roi. Les anciens chouans ou leurs veuves reçoivent même parfois une maigre pension, certains ont reçu une épée d’honneur gravée à leur nom, d’autres poursuivent une carrière militaire modeste, la famille Cadoudal a été anoblie, les réfractaires au service militaire ont disparu.
A Vannes, il y a un « bon préfet ». Il s’agit de Monsieur le Comte de Chazelles, en place depuis 1822, après avoir été sous-préfet de Muret et de Lorient. Issu d’une vieille famille du Languedoc, il est gentilhomme de la Chambre du Roi et Chevalier d’Honneur de Madame la Duchesse de Berry. Il est peut-être à l’unisson des idées d’une majorité de la population du Morbihan, mais il est compte tenu de son image et de son passé, sur un siège éjectable…
Les 27, 28, 29 juillet, Paris vit des journées insurrectionnelles qui vont faire dans la capitale plus d’un millier de morts dont près de 300 parmi les forces de l’ordre. On paraît bien prêt d’avoir une nouvelle république, mais les élites bourgeoises en décident autrement en faisant appel au duc d’Orléans (fils de Philippe-Egalité qui vota la mort Louis XVI). Il règnera sous le nom de Louis-Philippe, roi des français…, un monarque presque républicain !
Charles X quitte la France pour l’Angleterre, mais ses ministres seront jugés par le nouveau pouvoir qui se livre à une épuration massive des fonctionnaires et des militaires (un nombre important de ces derniers décidant tout simplement de ne pas servir le nouveau régime).
Après avoir rédigé un appel au calme à la population dont il connaît bien les idées et les réactions, le comte de Chazelles fait ses valises le 10 août pour laisser la place à Monsieur Lorois qui s’installe dans ses meubles pour dix-huit ans ! Ceux qui le connaissent bien sans le haïr diront : « Il va aigrir les esprits dans un pays dont on devrait ménager toutes les susceptibilités »…